Déballage de valise

Andrea avait terminé de manger en compagnie de Jazzy, la jeune française, lorsque cette dernière avait proposé de déballer leurs valises ensemble. Bonne idée, c’était un moyen comme un autre de faire connaissance après tout, et puis, elle n’avait pas eu l’occasion de lui parler la veille, c’était donc le moment où jamais. Andrea avait un excellent niveau en français, ayant suivi une spécialité français justement à la faculté. On entendait légèrement son accent espagnol lorsqu’elle parlait français, mais elle n’avait aucune raison de complexer devant Jazzy. Un tas de valise se trouvait au centre de la pièce, cela n’allait pas être du gâteau de retrouver la sienne dans le lot. Andy ne put s’empêcher de rire à la première remarque de la française. « Je n’en suis pas si sûre. N’oublie pas que nous avons une Barbie parmi nous. » Elle faisait bien entendu référence à Barbarella, l’américaine. Elle avait tout d’une poupée d’ailleurs, ce surnom lui allait à ravir. Jazzy trouva ensuite la valise de l’espagnole, et celle-ci la remercia. « Juste de quoi survivre dans ce jeu. » lança-t-elle, d’une manière qui se voulait mystérieuse. Survivre n’était franchement pas le mot à employer, et sous entendait que pour survivre, elle devrait éliminer ses concurrents. Les moyens étaient divers, les armes en étaient un. Après tout, on pouvait mettre ce qu’on voulait dans une valise non ? Elle rit intérieurement à cette pensée, elle plaisantait elle aussi. Jazzy trouva ensuite son bien, tandis qu’Andrea était face à son placard. « Exact. Tu vas me rendre déjà nostalgique de ma ville. » Elle sourit, puis continua. « L’endroit que je préfère est le parc Güell. Je ne me lasserais jamais de m’y balader. Il vaut tellement le détour, j’espère que tu auras l’occasion de visiter la ville, les livres, c’est bien beau, mais rien ne vaut la réalité. » Et c’était une libraire qui disait ça !

Un sourire timide étira mes lèvres lorsqu'elle me parlait de sa nostalgie mais aussi de sa ville. Je me cachai néanmoins derrière mes affaires et mon rangement. Je me doutais bien que c'était beau les livres mais que la réalité était bien mieux. Mais moi je n'avais pas les moyens de le découvrir, et je ne les aurais certainement jamais. A moins, bien sûr de finir première de cette aventure. "Je vois" me contentai-je de dire. Je gardais mon amertume pour moi, je n'allais pas être la fille qui envie tout le monde. On était là pour s'amuser, passer des bonnes vacances, et ne pas se prendre la tête. Je découvrais cependant une facette de ma personnalité que je n'avais pas soupçonné jusqu'alors. Et cela ne me plaisait pas. Je comprenais d'où cela venait, en un sens. J'avais l'habitude de graviter autour de personnes de mon milieu, c'est à dire, au mieux de la classe moyenne, et non des gens qui avaient l'air d'avoir tout pour eux et aucun problème financier. Je ravalai mes sentiments honteux et tentai de mieux connaître l'espagnole au corps de rêve. "Tu fais quoi dans la vie?" demandai-je. Pendant ce temps, je refaisais les piles de mes vêtements qui étaient tous froissés par le voyage. Je n'étais pas tellement maniaque, et pourtant, je tenais à ce que tout soit en ordre. Allez comprendre...

Andrea n’avait pas réfléchi lorsqu’elle avait répondit à la jeune française. Lorsqu’on lui parlait de sa ville, sa passion prenait le dessus sur la raison, et elle pouvait très bien en parler pendant des heures et des heures. C’était indéfinissable l’attachement qu’elle éprouvait pour la belle Barcelone. Elle ne pourrait jamais la quitter, elle le sentait au fond d’elle, elle avait besoin de cette ambiance dans les rues, elle avait besoin des sourires des personnes qu’elle croisait le matin en partant travailler, elle avait besoin des petits commerçants qui se situaient dans son quartier, elle avait besoin des monuments incontournables de Barcelone, elle avait besoin de ses longues plages, et de voir les bateaux quitter la terre depuis sa fenêtre de cuisine et de chambre. C’était ainsi, son quotidien la satisfaisait plutôt bien, et elle n’échangerait pour rien au monde son train de vie, même si elle ne roulait pas sur l’or, même si elle avait à sa charge un enfant, dont le père ne voulait pas en entendre parler. Elle savait que dans ce jeu, les candidats ne penseraient pas une seule seconde au fait qu’elle puisse être une mère, avant d’être une femme au fond. Ils ne penseraient jamais à son métier non plus, la voyant plutôt sous les feux de la rampe, en étant mannequin. Elle avait le physique pour, les hommes se retournaient sur son passage dans la rue, des personnes de la mode s’arrêtaient pour lui tendre des cartes de visite. Elle ne les jetait jamais, et les rangeait dans un tiroir de sa table de nuit, peut-être que cela pourrait lui servir, un jour. Ou pas. « Je tiens une petite libraire de quartier. » lâcha-t-elle. Elle aurait pu jouer de son physique, se faisant passer pour une mannequin donc, mais elle n’en avait guère envie. C’était une stratégie, mais cela n’était pas la sienne. « Et toi ? »

Sa vie avait l'air parfaite. Le soleil de Barcelone, son architecture et sa plage, un boulot tranquille, enfin j'imaginais. A côté de cela, moi j'avais un job minable qui me faisait gagner à peine de quoi vivre. Je travaillais la nuit, dormais le jour. Je voyais à peine mes amis et ma famille. Mais tout allait bien. Je tentai de faire un sourire alors que la dernière pile de vêtements vint se poser sur la dernière étagère de libre. "Et bien je suis barmaid, dans un "lounge" ", annonçai-je, mimant des guillemets imaginaires dans l'air en prononçant le mot lounge. Ce n'était pas tout à fait un bar, mais pas non plus une boîte de nuit. Lounge ne voulait pas dire grand chose, mais apparemment les gens avait l'air de comprendre. Je refermai ma valise et la coinçai dans un coin. Voyant que mon interlocutrice n'avait pas encore commencé de déballer sa valise, je vins m'assoir pas loin d'elle, sur le banc posé au milieu de la pièce. Je croisai les jambes et l'observai à la dérobée. Elle était jolie, vraiment très jolie. Le genre de fille qui devait avoir un book que les internautes qui suivaient l'émission avait déjà du découvrir. Elle devait bien être consciente de sa beauté alors je ne fis pas de commentaires. "J'ai trouvé ça bizarre de partager un lit, mais bon, c'est bien, on peut faire connaissance avec les gens". Je ne savais pas trop quoi dire mais les banalités, c'était un peu mon fond de commerce. "J'espère qu'on va bientôt avoir le droit à des missions ou des trucs à faire parce que il ne se passe pas grand chose depuis hier soir," commentai-je en riant.

La vie d’Andy semblait en effet parfaite. Barcelone, sans doute une des plus belles villes espagnoles, la mer à proximité, un port où des ferry desservaient l’archipel des Baléares, lieu idyllique, et puis, son métier, qui semblait enrichissant et passionnant. Il est vrai qu’elle pouvait s’estimer chanceuse de son quotidien, pourtant, l’argent ne coulait pas à flots pour elle, et sa librairie ne faisait pas des mille et des cent en chiffre d’affaires, elle avait tout juste de quoi nourrir sa petite famille, et payer les factures. Mais elle ne se plaignait jamais, et n’avait rarement recourt à ses parents. Elle assumait toutes les responsabilités de la vie. Si elle semblait si heureuse de ce qu’elle avait, c’est bien parce qu’elle avait apprit à ne désirer que des choses simples, et accessibles. Des rêves, elle en avait, comme tout le monde, mais elle ne s’imaginait pas les atteindre pour le moment. Cette émission lui permettrait sans doute un certain confort si elle remportait les 100 000 euros, mais ses concurrents semblaient tout aussi déterminés qu’elle. Elle questionna à son tour la jeune française sur son métier. C’est vrai que ce n’était pas du tout la même chose qu’elle, elles avaient une vie très différente. Elle hocha la tête, puis commença à ouvrir sa valise. Jazzy avait fini, tandis qu’elle n’avait toujours pas commencé. Elle était bavarde, après tout. « Je confirme, très bizarre. » Elle rit doucement. Elle a failli rajouter qu’elle n’en avait plus l’habitude, de partager un lit avec un inconnu, mais tout autant avec un homme connu, mais elle n’en dit rien. « A peine arrivée, et tu veux déjà des missions. Je suppose que tu n’es donc pas là pour te tourner les pouces et te croire au club med… » A nouveau, elle rit doucement. Elle non plus n’était pas là pour la farniente. « Je pense que ça va vite arriver. »