Où sont les Kourabiés ?

Feat Kasia

La tête dans les placards, Soto cherchait quelque chose. Le premier placard n’avait rien donné, le second non plus. Il n’en restait plus que deux et pourtant ses gâteaux préférés restaient introuvable. Ces même gâteaux qu’il mangeait chaque matin au petit déjeuner. Des Kourabiés (des petits gâteaux secs aux amandes et à la semoule). Il avait beau cherché, il n’y avait rien qui s’approchait de près ou de loin à ce qu’il avait l’habitude de manger. Non, c’était typiquement français. Finalement et après une recherche infructueuse, Soto céda et attrapa de la brioche. Tant pis. Il ouvrit ensuite le frigo et prit du fromage frais. Puis, il alla s’installer à la table, entreprenant ensuite de beurrer sa brioche avec du fromage frais. Drôle de mélange. Une candidate était d’ailleurs déjà installée à la table, à deux chaises en face de lui. Un rapide coup d’œil lui avait permit de se rendre compte que le visage ainsi que son nom lui avaient totalement échappé. Incapable de la moindre parole, Soto préféra se taire, restant concentré sur ses biscottes improvisées.

Kasia avait mal dormi, et était donc d'une humeur quelque peu changeante. La belle avait toujours le sommeil très agité, et c'est pourquoi elle aimait dormir SEULE. Même quand elle couchait avec un homme, elle prenait soin de s'éclipser une fois qu'il s'était endormi, comme un vrai mec. Tout comme elle prenait garde à ne jamais ramener quelqu'un dans son studio. Déjà, parce qu'il était loin d'être à la hauteur, mais aussi pour éviter que le garçon essaye de s'éterniser. Même avec ses petits copains, ça avait toujours été chacun chez soi, chacun dans son lit. Il n'y avait qu'avec Arthur, son mari, que Kasia ne s'était pas sentie oppressée de dormir dans le même lit que quelqu'un. Au contraire, il avait le don d'apaiser son sommeil, et elle aimait à se blottir contre lui. Mais ce temps était révolu, et son départ n'avait fait qu'accélérer sa névrose : elle détestait dormir avec quelqu'un. La jeune femme était silencieuse, assise à la table de la cuisine. Elle était réveillée depuis déjà quelques heures, mais l'alcool ingurgité la veille se faisait sentir et rendait son réveil assez douloureux. Bordel, comment pouvait-on avoir une telle résistance à la vodka, et sentir un monstre dévorer sa cervelle après quelques coupettes de champagne ? Invraisemblable. La France était un pays bizarre, et son alcool en apparence doux ne faisait pas exception à la règle. Putain de pays. Kasia jouait avec la pomme d'un rouge presque parfait, la faisant rouler délicatement sur la table, l'esprit ailleurs quand on vint troubler ce moment de pure harmonie (ou pas). Le grec asocial faisait encore des siennes. Elle leva les yeux au ciel, agacée par tant de remue-ménage inutile, avant de faire disparaître cette mine peu avenante lorsqu'il prit place à ses côtés. Elle fit apparaître sur son visage un sourire doux et se força à faire la conversation. Il était important de converser avec les habitants, même si ils ne nous attiraient pas le moins du monde. Leur parler permettrait de les cerner, et une fois qu'on les aurait un peu cerné, il serait plus aisé d'apparaître de façon plaisante face à eux. Puis de choisir les alliances qui s'imposaient. Soto ne semblait pas très utile en apparence, à moins de réparer un truc électronique dans la maison. Il avait cet air d'oisillon craintif qui donnait envie à la Russe de le secouer sans ménagement jusqu'à ce que ses deux uniques neurones se rencontrent enfin et lui insufflent un souffle d'intelligence. Ou du moins le rendent un peu moins niais en apparence. Cependant, il parlait aussi peu qu'elle et Kasia devait bien s'avouer que cette caractéristique le rendait un tout petit peu moins pathétique. UN TOUT PETIT PEU. « Bien dormi ? » s'enquit-elle simplement de sa voix joliment suave, d'un ton doux histoire de mettre le petit geek à l'aise et ne pas recevoir en échange un balbutiement incompréhensible.

« Bien dormi ? » Soto releva enfin les yeux vers la Russe, s’arrêtant un instant sur ses lèvres qui venaient d’émettre deux mots. La question était banal mais le ton de voix qu’elle employait, non. A vrai dire, elle ressemblait là, à la voix de son ordinateur. Etonnamment, à cette pensée, un sourire roula sur sa bouche alors qu’il croquait à pleine dent dans la brioche. Il mâcha, en regardant toujours les lèvres de la russe puis croisa son regard avant de chercher un autre point d’ancrage : la pomme rouge qu’elle faisait rouler sur la table. Il secoua finalement la tête. « Non. » Il avala ce qu’il avait dans la bouche s’en prendre le temps de mâcher davantage. Si il ne voulait pas qu’elle parte en courant il devait faire mieux qu’un ‘non’. Ainsi, il s’obligea à répondre à l’envie de conversation de la russe. « Enfin pas vraiment. J’dors avec Barbie. Et elle me prend pour son Ken alors.. » Il soupira. Il ne se voyait pas passer des semaines à devoir supporter les longues jambes de l’américaine sur lui. Non pas qu’elle n’était pas jolie mais c’était au fond dérangeant. Il ne la connaissait pas, elle n’avait donc aucun droit de mettre un pied dans son espace vital et privé. « Tu n’aimes pas les pommes ? » demanda t-il bêtement, fixant toujours la pomme rouge.

Kasia esquissa un sourire amusé en imaginant le pauvre grec submergé par l'américaine vulgaire. Elle voyait déjà le tableau d'ici : Soto, droit comme un I dans son lit, paralysé et mal à l'aise, n'osant pas faire un geste, si près du bord qu'il pouvait en tomber. Et Barbie, en diagonale, prenant toute la place, alanguie comme la pétasse péroxydée qu'elle était. Kasia visualisait presque ses seins si gros qu'ils en étaient indécents déborder de sa nuisette pour aller étouffer le pauvre petit geek dans son sommeil. Charmant tableau. Aucune association n'aurait pu être plus hasardeuse que celle-ci, comme quoi, la production avait le sens de l'humour. Assez pour la faire entrer en même temps que Miss Grognasse 2010. Ils avaient dû se douter que l'ambiance entre les deux brunes flamboyantes ne pouvait qu'être électrique. Et encore, ça ne faisait que commencer... « C'est drôle, tu n'as pas grand chose d'un Ken pourtant. » Kasia avait dit cela sans animosité aucune, du même ton que le reste de ses répliques. Il est vrai que pour elle, Ken était grand, les cheveux clairs, musclé, et possédait une assurance à toute épreuve. Tout le contraire du petit Grec, en somme. La Russe cessa quelques secondes de jouer avec sa pomme, et lança, plus sérieusement. « Tu devrais t'affirmer dès maintenant avec Barbie. Et fermement. C'est le genre de personne à t'arracher le bras si tu lui tends un doigt. » Kasia s'était avancée en direction de Soto comme pour lui ancrer sa phrase en tête. Pas beaucoup, ça non, ce n'était même pas perceptible presque. Mais le langage du corps avait une influence assez incroyable dans la compréhension des phrases, même inconsciemment, même si on ne la percevait pas toujours. Elle haussa ensuite les épaules avec désinvolture en reprenant sa place initiale, comme si ce qu'elle venait de dire n'avait au fond, pas une grande importance. Il est vrai que Kasia donnait très peu de conseils : les problèmes des autres ne l'intéressaient pas, elle avait assez à faire des siens, merci bien. Cependant, là, elle était sincère : la tornade barbie devait être avoir ses limites rapidement, sinon elle finirait par dévorer tout cru le pauvre Soto. Ne vous méprenez pas néanmoins, Kasia ne distillait pas un conseil par pure empathie... A la question du Grec, elle reporta ses yeux clairs sur sa pomme et s'efforça de croquer dedans à contre-coeur. Kasia n'aimait pas manger, et pensait qu'il lui suffisait de parler et d'attirer l'attention de son interlocuteur ailleurs pour que cela ne se remarque pas, mais apparemment, ça ne marchait pas à tous les coups. « Si, mais j'ai rarement faim au réveil.»

« C'est drôle, tu n'as pas grand chose d'un Ken pourtant. » Soto arqua un sourcil. La russe était-elle de ceux qui jugeait par le physique ? Au fond, le grec ne trouvait pas ça drôle. C’était d’ailleurs affiché sur son visage, le regard marqué d’une certaine déception. Elle n’avait pourtant pas tord. Il était loin d’être cet apollon de Ken. Mais, c’était si important que ça ? Devant les paroles de la Russe, Soto se sentit soudainement largué. Il était dans une maison où la majorité des gens étaient des bombes sur pattes. Vilain petit canard ? Il leva les yeux finalement vers Kasia, et resta muet. « Tu devrais t'affirmer dès maintenant avec Barbie. Et fermement. C'est le genre de personne à t'arracher le bras si tu lui tends un doigt. » Sans déconner ? « Je ne l’avais pas remarqué. » Soto haussa des épaules. C’était si facile de dire ça alors qu’elle ne le connaissait pas. Aller vers les autres était déjà un exploit en soit, échanger quelques mots avec elle aussi alors penser à s’affirmer, c’était qu’une utopie dans le monde du jeune geek. Le grec ne se faisait cependant pas de soucis. Il avait assez de ressource – du moins lui semblait-il – pour contrer le virus Barbarella. Après tout, rien ne l’interdisais de dormir ailleurs, si ? Il avait fait l’effort d’exécuter les ordres du Maitre du Jeu mais si pour ça, il devait mettre sa propre vie en danger, la production pouvait toujours courir. De toute façon, l’américaine n’appréciait certainement pas non plus le fait de partager son lit avec lui plutôt qu’avec un mec beaucoup plus viril. Lucio, par exemple. La répartition avait été hasardeuse.. du moins pour son cas. Soto baissa finalement le regard. « Comment ? » Honnêtement, s’affirmer n’avait jamais été dans ses préoccupations. De un, il n’avait pas le caractère pour, trop effacer et de deux, il n’avait aucune idée de comment faire. En avait-il envie au moins ? Puis, le grec la regarda porter la pomme à sa bouche sans y avoir trop gout. « Si, mais j'ai rarement faim au réveil.» Il resta un instant bloqué sur la pomme puis croqua dans une autre de ses biscottes. « Pourquoi, tu la manges alors ? » Elle lui disait non et faisait tout le contraire. Bizarre. Soto n’était de toute façon plus à ca près.